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Femmes et BD. En attendant Angoulême...

Dernière mise à jour : 23 avr. 2020

2020 : année de la bande dessinée. La nouvelle année ne fait que commencer et elle a déjà une lourde responsabilité sur ses épaules : elle doit marquer le paysage artistique et culturel français par la valorisation du 9e art dans toutes ses formes.


Le label “BD 2020” sous-titré “La France aime le 9e art”, a été voulu par l’actuel Ministre de la culture Franck Riester, qui en a annoncé le lancement lors de la dernière édition du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême en Janvier 2019. Concrètement, le Ministère de la Culture en collaboration avec le Centre national du livre (CNL) et la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CIBD), s’engage à organiser tout au long de cette année des événements liés au 9e art qui investiront les musées, les théâtres, les bibliothèques des quatre coins de l'Hexagone.


Premier parmi ces événements, la 47ème édition du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême débutera le 30 Janvier 2020 et constitue le tremplin de lancement de l’année de la BD. Référence absolue pour la bande dessinée francophone et deuxième manifestation de ce type au niveau européen après le Salon international des bandes dessinées de Lucques en Italie, le FIBD s’organise autour de plusieurs expositions, rencontres et débats et décerne plusieurs prix dont les plus célèbres sont le Grand prix de la ville d'Angoulême, remis à un.e auteur.ice de BD pour l’ensemble de son oeuvre et le Fauve d’or mettant en l’honneur le meilleur album de BD de l’année précédente.


Lors de la 46e édition du festival les femmes ont dominé la scène angoumoise. Le Grand prix de la ville d'Angoulême a été attribuée à la dessinatrice japonaise Rumiko Takahashi célèbre pour ses mangas engagés dont les personnages ont marqué les esprits des amateurs du genre. Le Fauve d’or, quant à lui, a récompensé le roman graphique Moi ce que j’aime c’est les monstres, oeuvre d’exception de l’illustratrice américaine Emil Ferris. Toutefois, le grand festival francophone n’a pas toujours contribué à la reconnaissance et à la visibilité des autrices. En effet, Emil Ferris est seulement la sixième femme qui s’est vue attribuer le Fauve d’or depuis la première édition du festival en 1974. La dernière lauréate était Marjane Satrapi pour Poulet aux prunes en 2005. Pour sa part, la légende du manga Rumiko Takahashi n’est que la deuxième femme à avoir remporté le prestigieux Grand prix après Florence Cestac en 2000. Même dans les listes de nominations pour les prix décernés par le FIBD, les noms de femmes sont à chercher avec la loupe comme le démontre le grand scandale de 2016 : AUCUNE autrice apparaissait parmi les candidats au Grand prix. L’oeuvre d’AUCUNE illustratrice n’était digne de se voir attribuer le Grand prix. Angoulême, l'un des plus grand festival de bande dessinée, ne couronnait, avant le rattrapage de 2019, que des hommes!


Une riposte vive et intelligente aux longues années d’invisibilisation des femmes dans le domaine du 9e art s’est matérialisée en 2007 avec la création de l’association Artémisia. Co-fondée par les illustratrices Chantal Montellier et Jeanne Puchol avec l’aide précieuse de l’historienne de l’art des femmes Marie Jo-Bonnet, l’association, qui emprunte son nom à la peintre italienne du XVIIe siècle Artemisia Gentileschi, vise à lutter contre les injustices sexistes toujours fortement présentes dans le domaine de la bande dessinée. Pour ce faire, le jury (mixte) d'Artemisia attribue le 9 Janvier de chaque année, jour de l’anniversaire de Simone de Beauvoir, des prix pour récompenser et encourager le travail des autrices femmes.


Quinze titres avaient été retenus dans la sélection finale pour l’année 2020 annoncée officiellement par le jury d'Artémisia le 18 Décembre 2019. “Qualité, originalité et créativité” étaient les mots d’ordres à la base de ce choix.

Parmi les titres qui figuraient dans la liste, deux ouvrages se trouvent également dans les nombreuses sélections opérées par le FIBD. Le premier est Cassandra Darke le polar de Posy Simmonds. Marqué par un grand amour pour le détail, le troisième roman graphique de l’illustratrice anglaise, nous transporte dans la réalité sociale contrastée des rues de Londres en pleine période de Noël. La protagoniste du roman est Cassandra Darke, riche marchande d’art égoïste et sans coeur qui doit faire face à l’irruption dans sa vie de sa nièce Niki et à ses amourettes dissolues.




Le deuxième ouvrage est signé Marion Jdanoff. Derrière son titre, Guerre, se cache la douloureuse bataille de Pauline, amie proche de l’autrice, contre le cancer qui gagnait petit à petit son cerveau. Pour soutenir son amie, Marion Jdanoff avait décidé de lui envoyer des dessins pour qu’elle puisse en brûler un chaque jour passé à lutter contre sa maladie pour maintenir en feu la flamme de la lutte. Malheureusement aucun dessin n’a été brûlé et Guerre devient avec sa spontanéité poignante la preuve matérialisée et émouvante du lien d’amitié entre Marion et Pauline.



Malgré la grande qualité des dessins de Posy Simmonds et l’originalité dans la manière de tester les limites de la bande dessinée de Marion Jdanoff, les albums des deux autrices ne se sont pas vus attribuer le Grand Prix Artémisia 2020. La grande gagnante de cette année est l’italienne Barbara Baldi récompensée pour Ada, son deuxième roman graphique. Ada raconte l’histoire d’une jeune fille qui vit dans une forêt autrichienne. Passionnée par le dessin et l’écriture, inspirée par la nature flamboyante qui l’entoure, elle doit faire face à la tyrannie d’un père rude et autoritaire qui n'apprécie pas sa créativité. La qualité graphique des dessins de Barbara Baldi frappe tout de suite les lecteurs qui se perdent dans les paysages englobants de l’immense forêt qui alimente la créativité d’Ada. Tantôt sombre, tantôt chaleureuse, la nature que l’autrice représente est investie par une vaste palette de couleurs qui nous plongent dans les états d’esprit et dans l'intériorité la plus profonde de la protagoniste. Proche du livre d’art pour le pictorialisme de ses dessin, cet album est un véritable chef-d’oeuvre!





A côté de Ada, cinq autres albums se sont vus attribuer des récompenses par le jury d'Artemisia. Carnage, roman graphique qui naît d’une forte réflexion de Florence Dupré La Tour sur la pornographie gagne cette année le Prix Spécial du Jury Artémisia.

En ce qui concerne le Prix de l’originalité, Lorraine les Bains interpelle le jury avec Waldo, un récit noir où l’apparence des protagonistes n’est jamais dévoilée : les conversations ont lieu derrière l’architecture détaillée des façades des bâtiments qu’ils habitent.


Toujours proche de l’actualité, Artémisia a voulu récompenser les messages féministes et l’engagement écologique en attribuant respectivement un Prix de l’émancipation à Chloé Wary pour Saison des roses et un Prix de l’environnement à Anne Defréville pour l’Age bleu.

Enfin, grande surprise de cette année, le Prix du Matrimoine attribué à Nicole Claveloux et Edith Zha pour La main verte et autres récits, une réédition réussie des oeuvres de ces deux grandes figures de la bande dessinée féministe.



Les résultats du prix Artémisia permettent à l’année de la BD de démarrer avec une juste reconnaissance du travail des autrices qui ont été, pendant des décennies, oubliées par la scène francophone à cause du petit nombre de maisons d’édition dirigées que par des hommes et des jurys exclusivement masculins. Jusqu’aux années 60, les femmes n’étaient cantonnées qu’à la bande dessinée destinée aux enfants tandis que les hommes se consacraient aux adultes, au “sérieux”, en créant des personnages de référence masculins pour des lecteurs masculins. Depuis les années 2000, un grand bouleversement est en train de se produire grâce aux éditeurs indépendants qui se sont tournés vers les autrices (c’est le cas de l’Association, éditeur entre autres de Marjane Satrapi) et qui ont osé ouvrir le champ de la bande dessinée à des genres divers et variés qui favorisent une plus grande liberté d'expérimentation et créativité que les grands éditeurs franco-belges.


Mais comme l’affirme Chantale Montellier, co-fondatrice du prix Artémisia, “ça ne fait que commencer pour les femmes”. Dans un domaine marqué par un androcentrisme historique frappant, les propos défendus par Artémisia se révèlent des armes essentielles pour mener à bien le combat contre une société étouffée par le machisme.


Nos résolutions pour l’année 2020? Plus d’égalité et moins de sexisme à Angoulême !


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