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  • Photo du rédacteurMembre de Nina et Louise

Les femmes qui ont marqué Lille

Dernière mise à jour : 23 avr. 2020

Longtemps surnommée la « Capitale des Flandres », la ville de Lille a connu une histoire mouvementée. Très souvent assiégée, elle a été cité marchande, manufacturière puis industrielle, principalement dans les domaines textiles et mécaniques. De nombreuses femmes ont contribué à façonner la ville et y ont laissé une empreinte plus ou moins discrète. Découvrons certaines d’entre elles, près des lieux où elles ont vécu et des monuments qui leur rendent hommage.



L’Hospice Comtesse et Jeanne de Constantinople, Comtesse de Flandre et du Hainaut


Commençons au Musée de l’Hospice Comtesse, situé au 32, rue de la Monnaie, dans le cœur historique de la ville. Il est l’un des témoignages les plus marquants de l’action d’une femme qui a gouverné Lille au Moyen Âge: la Comtesse Jeanne de Flandre, aussi connue sous le nom de Jeanne de Constantinople.


Jeanne de Flandre, née vers l'an 1200, et sa sœur cadette Marguerite sont les filles de Baudouin IX de Flandre et de Marie de Champagne. Au décès de leur père, en 1205, Jeanne hérite du comté de Flandre et de Hainaut. Elle est élevée à Paris par le roi de France Philippe Auguste, qui la marie à Ferrand de Portugal en 1212. Mais très vite, Ferrand rejoint une coalition contre le roi, qui perd lors de la bataille de Bouvines en 1214; il est donc fait prisonnier. Jeanne gouverne désormais seule l’une des plus puissantes principautés d’Europe; elle a alors à peine 15 ans. La jeune comtesse n’est pas au bout de ses surprises, puisqu’elle doit gérer tour à tour un conflit avec sa soeur concernant la part de succession de Marguerite et un imposteur qui tente de se faire passer pour son père.


À Lille comme dans le reste de la Flandre, Jeanne de Constantinople a laissé l’image d’une femme d’état puissante et fascinante, qui favorisa la prospérité économique, transforma les institutions et renforça entre autres la place des femmes dans la société et dans l’église. À Lille, elle octroie dans une charte en 1235 les pouvoirs réglementaire, exécutif et judiciaire au Magistrat (1), elle officialise ainsi l’institution municipale.



En 1237, Jeanne fonde l’Hospice Comtesse dans l’enceinte de son propre palais. L’hôpital est géré par une communauté vivant sous la règle de Saint-Augustin. Il accueillait des malades, des pauvres et des pèlerins. Aujourd’hui il ne reste rien de l’établissement d’origine, à cause d’un incendie survenu en 1467. En 1962, l’Hospice Comtesse est devenu un musée sur l’art et l’histoire de la ville.

Quant à elle, Jeanne de Constantinople meurt le 5 décembre 1244. Sa soeur Marguerite lui succède.



Louise de Bettignies


Juste à côté de l’Hospice Comtesse, une place porte le nom de Louise de Bettignies. Elle est aussi représentée par une statue Boulevard Carnot; bien qu’elle manque un peu de finesse, on peut y reconnaître Louise, le regard au loin un soldat à ses pieds. La vie de Louise de Bettignies est un véritable roman d’espionnage!



Louise est née à Saint-Amand-les-Eaux en 1880, dans une famille aristocratique mais dépourvue de fortune. Après ses études au lycée de Valenciennes, elle fait des études en Angleterre et devient préceptrice dans de grandes familles européennes. La jeune femme est polyglotte: Elle parle couramment l’anglais, l’allemand, l’italien et a des notions en russe, en tchèque et en espagnol.


Confrontée très tôt aux dures réalités de la guerre, elle nourrit et soigne les soldats. Cependant dès 1914, la ville est occupée par l’armée allemande. Les services de renseignement anglais contactent Louise en février 1915. Elle part en Angleterre et elle apprend à employer des codes, à dresser des plans ainsi que les méthodes pour collecter et transmettre des informations de façon discrète.


À son retour en France, Louise de Bettignies prend le pseudonyme d’Alice Dubois et devient espionne (2), conduisant un réseau d’évasion et de renseignements militaires. Au printemps 1915, le réseau « Alice » réunit 80 hommes et femmes qui surveillent les trains, repèrent les emplacements des armes, les résidences des officiers et font passer des soldats vers les Pays-Bas. Parmi eux, signalons également la roubaisienne Marie-Léonie Vanhoutte qui se fait appeler Charlotte Lameron. Louise est arrêtée par les Allemands en octobre 1915, jugée et condamnée à mort. Elle est cependant graciée et voit sa peine transformée en travaux forcés à perpétuité. Elle meurt de maladie et d’un manque de soin à l’hôpital Sainte-Marie de Cologne le 27 septembre 1918.


L’histoire de Louise de Bettignies montre comment la guerre fut un moment de grande émancipation pour les femmes, leur permettant de s’impliquer dans des domaines qui ne leurs étaient pas familiers.



Jeanne Maillotte


Avant de quitter le Vieux Lille, partons du côté des légendes qui ont fondé la ville. L’une d’elles est née dans un contexte de conflits religieux. En juillet 1582, une bande de Hurlus, des protestants calvinistes, aurait attaqué la ville de Lille. Jeanne Maillotte, une cabaretière travaillant dans une échoppe de la place aux Bleuets, aurait alors alerté les archers de la confrérie de Saint Sébastien. Elle serait ainsi à l’origine de la résistance qui aurait permis de repousser l’attaque.



La légende est ainsi au cœur de plusieurs œuvres: une peinture conservée par le Musée de l’Hospice Comtesse montre par exemple Jeanne Maillotte armée d’une hallebarde et accompagnée d’archers, le chansonnier Alexandre Desrousseaux lui dédia une chanson et une statue la représentant, aujourd’hui située avenue du Peuple Belge, fut réalisée en 1935 par Edgard Boutry. La dernière incarnation en date de cette femme est la recréation d’une géante (3) à son nom pour le quartier du Vieux Lille. Jeanne Maillotte, qu’elle soit réelle ou fictive, est ainsi devenue le symbole du courage des femmes lilloises.



Martha Desrumaux


Martha Desrumaux est l'une des personnalités du milieu ouvrier, militant, féministe et résistant du siècle dernier. Elle naît en 1897, à Comines, dans un milieu pauvre, et se met à travailler très jeune, d’abord pour des familles bourgeoises, puis dans une usine textile. Les conditions dans lesquelles elle travaille sont éprouvantes. Elle adhère rapidement à la CGT, puis aux Jeunesses Socialistes. À 20 ans, Martha organise sa première grève.


Dans les années 1920, Martha Desrumaux rejoint le Parti Communiste et devient la première femme élue au Comité Central du parti en 1929. Elle défend le sort des ouvriers et des ouvrières du textile. À plusieurs reprises, elle mène et soutient les mouvements sociaux de 1936. C'est l’une des figures du Front Populaire. Elle est même la seule femme présente lors de la signature des accords de Matignon, qui établissent les conventions collectives, la semaine de 40 heures et les congés payés.



Lors de la Seconde Guerre Mondiale, depuis Lille, elle contribue à organiser la grève des mineurs de mai-juin 1941 du Nord-Pas-de-Calais avant d'être dénoncée, arrêtée par la Gestapo et déportée au camp de Ravensbrück, en Allemagne. À sa libération, elle retourne dans le Nord et reprend ses activités politiques et syndicales à l'Union départementale des syndicats CGT, tout en témoignant des horreurs commises dans les camps. Martha Desrumaux est élue aux élections de 1945 au conseil municipal de Lille, soit juste après l’extension du droit de vote aux femmes.


En 1954, elle quitte ses fonctions à l'Union départementale des syndicats CGT. Mais elle continue à militer pour les anciens déportés et pour l'émancipation des femmes au sein de l'Union des Femmes françaises (4). Elle poursuivra sa volonté de permettre l'émancipation des femmes et leur évolution au sein des institutions syndicales et politiques. Elle meurt en 1982.



Dweira Bernson-Verhaeghe


Pour finir, abordons l’histoire des femmes qui ont construit l’histoire de la ville de Lille à travers les universitaires qui, depuis la création de la faculté de Lille, se sont montrées pionnières. En 1887, les facultés de droit et des lettres sont transférées de Douai à Lille. Dès lors les femmes ont commencé à y étudier. Parmi elles, abordons la vie de Dweira Bernson-Verhaeghe.


Dweira Bernson est née le 3 janvier 1871 à Brest-Litovsk, en Biélorussie, qui faisait alors partie de l’Empire russe, dans une famille juive. Probablement suite aux difficultés d’accéder à des études supérieures (5), Dweira émigre en France pour pouvoir étudier. En 1895-1896, elle obtient la première partie du deuxième examen de doctorat de médecine. Elle est la première femme à occuper cette fonction de « moniteur d’anatomie» à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lille. Le 20 mai 1899, elle soutient sa thèse intitulée Nécessité d’une loi protectrice pour la femme ouvrière avant et après les couches (Étude d’hygiène sociale).


Durant ses études, elle rencontre Désiré Verhaeghe, homme politique lillois et médecin, avec qui elle partage des convictions sociales, hygiénistes et militantes. En 1900, ils se marient à Ixelles. En février 1902, Dweira est la secrétaire provisoire de l’association« La Goutte de Lait du Nord », qui lutte contre la mortalité infantile des nourrissons. Elle en assure les consultations médicales. Parallèlement, elle effectue des consultations pour les maladies des femmes et des enfants à Roubaix et à Lille. Son engagement se poursuit durant les décennies 1920 et 1930.


En 1904, Dweira Bernson donne naissance à sa fille Reysa Bernson, qui deviendra une physicienne et astronome reconnue dans les années 1930, fondera l’Association Astronomique du Nord à Lille et sera Lauréate du prix de la Société Astronomique de France. La mère et la fille ont ainsi consacré leur vie à l’amélioration du sort des ouvrières pour que celles-ci puissent accéder à la santé et à la connaissance. En 1944, Dweira et Reysa Bernson sont arrêtées en raison de leur origine juive, elles seront transférées au camp de Drancy, puis Auschwitz, où elles décèderont.



Notes:


(1) Le terme désigne ici les membres de l’administration municipale, désormais composée d’échevins et de jurés.

(2) Pour désigner les personnes qui, entre 1914 et 1918, s’opposent à l’occupation allemande, on utilise plutôt le terme d’ « espion.ne » que celui de « résistant.e ».

(3) Dans le folklore du Nord de la France et de la Belgique, les géants sont des figures gigantesques portées dans les rues les jours de fête, notamment de carnaval.

(4) Association qui évoluera sous le nom de Femmes Solidaires.

(5) Suite à l’assassinat du tsar Alexandre II en 1881, des pogroms déstabilisent les communautés juives et les étudiants juifs, en 1887 un numerus clausus limitant l'admission des Juifs dans les universités est mis en place.


Pour aller plus loin


À propos de Jeanne de Constantinople:

- Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandres et de Hainaut, Catalogue d’exposition, Lille, Musée de l'Hospice Comtesse, du 09 septembre-30 novembre 2009, Paris, Somogy, 2009.


À propos de Louise de Bettignies:

- Chantal Antier, Louise de Bettignies, espionne et héroïne de la Grande Guerre, Paris, Éditions Tallandier, 2013.

À propos de Martha Desrumaux:

- Pierre Outteryck, Martha Desrumaux, une femme du Nord, ouvrière, syndicaliste, déportée, féministe, Lille, Le Geai Bleu, 2006 ou 2009.

- La Prof, Martha Desrumaux - Gentes Dames Badass #10, vidéo youtube du 20 mars 2019. https://youtu.be/qdFB2fYszg8

À propos de Dweira Bernson-Verhaeghe:

- Danielle Delmaire et Jean‑Michel Faidit, « Vie et mort de deux femmes juives. À l’ombre d’un mari et d’un père », Tsafon [En ligne], 74 | 2017, mis en ligne le 31 mai 2018. URL : journals.openedition.org/tsafon/405 .

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