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Photo du rédacteurMembre de Nina et Louise

Sorcière, figure fascinante depuis l’Antiquité

En 2020 dans le monde occidental, deux idées viennent à l’esprit lorsqu’on parle de la sorcière et son identité. D’un côté, on a en tête une figure diabolisée, pourchassée mais attention : seulement par l’Église et dans des temps anciens ! De l’autre, des personnes, souvent des femmes, inspirées de Charmed qui s’essaient à la Wicca et au tarot tout en postant des photos sur le # witchesofinstagram sur le célèbre réseau social. D’un côté donc, une image repoussante, créée il y a des siècles et de l’autre une entité créée et reprise par les mouvements féministes pour ce qu’elle inspire : être en dehors des normes, et surtout créer un ailleurs, essayer de créer un espace pour soi loin du patriarcat. Cependant ces idées peuvent ne pas être complètes et sont surtout extrêmement euro-centrées, et surtout peuvent oublier la dimension spirituelle inhérente à la sorcière. Certains oublient en effet que la sorcellerie comme on l’envisageait par le passé est encore vivace dans les campagnes, ou même en ville : en témoigne la célèbre étude anthropologique du bocage mayennais Les mots, la Mort, les Sorts d’Anne Favret-Saada, écrit dans les années 1970. Et encore actuellement dans certaines parties du globe la sorcellerie est prohibée, des personnes tuées pour son exercice, tout au moins supposé : qu’il s’agisse d’hommes comme de femmes. Entre fascination et terreur, pouvons-nous définir ce qu’est une sorcière et qui se revendique ainsi ?


Si les civilisations anciennes (notamment sumériennes et égyptiennes) étaient pétries de magie qu’ils envisageaient comme faisant partie intégrante de la vie quotidienne, l’une des premières sorcières connue est la mythique Circé, dont l’histoire a récemment été contée par la romancière Madeline Miller. Elle correspond alors à la définition envisagée par Ronald Hutton dans The Witch comme étant une sorcière : elle use de ses pouvoirs dans un but qui ne profite pas à tous, voire qui est égoïste et peut être considéré nuisible. Elle possède cependant des talents en tant que sage-femme et en divination, et connaît l’usage des plantes comme bien des personnes qui ont par la suite été qualifiées de sorcière : cependant, la chasse n’a lieu qu’au début de l’époque moderne… Au moins dans le monde occidental.


Toutes les personnes qui usent de magie ne sont ainsi pas considérées sorcières : celles-ci devaient être considérées comme généralement nuisibles pour la société, d’autres se battant contre celles-ci. On a ainsi l’exemple (donné dans A deed without a name par Lee Morgan) des benedanti, se battant dans un espace psychique contre les malevanti. Si les deux groupes ont été jugé comme étant exactement pareil par l'Eglise à l’époque moderne, la distinction étant pourtant à leurs yeux claire : les premiers se battaient contre ces dernières pour le bien de leur communauté. De plus, l’usage de la religion est flou : même les peuples dans les campagnes actuellement ressemblant le plus à des sorcières (le mot pouvant être neutre, utilisé donc pour tous les genres) usent de la religion catholique pour appeler l’aide de la Vierge par exemple en magnétisant ou en exorcisant. Cette influence est plus que visible lorsqu’on regarde le Carmina Gadelica, un recueil de sorts de sorcières écossaises; et la distinction se fait évidente lorsque la comparaison est faite avec le Petit Albert ou le Dragon Rouge, grimoires qui circulaient dans les campagnes. Cette même distinction peut être faite également actuellement, lorsqu’on lit les études menées par Dominique Camus notamment La Sorcellerie en France : Du Moyen Âge à nos jours. Cette enquête permet alors d’observer les sorciers non wiccans, tributaires directs de ceux de notre passé.


Car un point souvent oublié en traitant de ce sujet est celui de la croyance. Les personnes étudiées à cette époque croyaient en ces actes surnaturels, essayaient de trouver des explications. Et si on connaît bien les résurgences qui ont lieu depuis la fin du XIXème siècle (avec l’ordre de la Golden Dawn notamment, puis la Wicca et le New Age et la démocratisation du tarot et de l’astrologie en cours dans notre société) on oublie que celaà n’a jamais cessé dans d’autres parties du globe, pour ainsi oublier la sorcellerie traditionnelle africaine. Si la sorcière est une figure sensuelle, attirante comme le montre notamment le livre de Michelet sur le sujet, n’oublions cependant pas qu’il y a une réalité anthropologique, spirituelle et non-blanche: les pratiques sorcières étaient utilisées également dans d’autres villes, régions du globe (notamment en Afrique) et celles- ci peuvent ne pas bénéficier d’une bonne presse encore actuellement : en témoigne la pendaison de deux hommes au Vanuatu pour sorcellerie en 2014.


La figure de la sorcière cependant, prise dans un prisme de lutte (du fait du nombre de femmes qui étaient condamnées) a cependant été érigée en figure de reprise de pouvoir des mouvements féministes ou queer. Cela peut également être lié au fait qu’elle apparaît traditionnellement en marge des sociétés, et par-là se pose en danger contre ces mêmes sociétés, auxquelles elle appartient tout en n’étant dans le même temps pas exactement présente. Se nommer sorcière fait alors référence à l’acte militant de la réclamation de la peur, notamment de l’entre-deux, par des personnes venant de minorités et pouvant être ostracisées. La sorcière dans le monde contemporain devient une figure plurielle, complexe, chargée de tradition mais aussi du sens qu’on peut lui donner.


Pour aller plus loin:


Camus, Dominique. Sorcellerie en France : Du Moyen Âge à Nos jours.


Favret-Saada, Jeanne. Les mots, La Mort, Les sorts. Paris : éditions Gallimard.


Hutton, Ronald. The Witch : A history of fear, from ancient times to the present. Yale : Yale UP, 2016. 360 pp.


Série de podcasts de France culture sur la sorcière


Dans la fiction :

Madeline Miller, Circé (2018) (livre)

The Familiars, Stacey Hall (2019) (livre)

Fabrice Colin, La Malédiction d’Old Haven (2007)

The Craft (film) (1996)

Suspiria (film) (1977, 2018)

The Love Witch (film) (2016)

Là-bas, Huysmans (1891) (livre)

Les Nouvelles Aventures de Sabrina (série) (2018)


Image di'lllustration : Circé offrant le vin à Ulysse, huile sur toile, 1891, John Waterhouse, conservé à la galerie Oldham, Oldham, Royaume Uni

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