Si vous jetez parfois un coup d’oeil au magazine de mode ou scrollez sur l’Instagram d’influenceuses beauté, la mode n’a pas dû vous échappez : le visage de Frida est partout.
En maquillage, en vêtements, en mugs et même en poupée Barbie : l’effigie de la peintre mexicaine s’affiche partout, comme celle des Spice Girls, de Marylin Monroe ou de Betty Boop il y a quelques années.
Que c’est-il passé dans les années 2010 qui a déclenché un tel engouement marketing pour la figure de Frida Khalo ? Cela participe sans doute d’abord à la mode globale de l’esthétique mexicaine et précolombienne que l’on a vu fleurir dans le design, la mode et la beauté : qui n’a pas vu au moins une de ses amies affublée d’un maquillage de la Catrina, figure populaire de la fête des morts ?
Le succès de “Coco”, film Pixar ayant lieu au Mexique et l’influence grandissante de la communauté mexicano-américaine aux Etats-Unis participe aussi à cette vague mexicanisante sur la pop culture. Un phénomène dont beaucoup pointe l’appropriation culturelle, alors même que Trump accède au pouvoir en promettant de construire un mur le long du Rio Grande...
Quel rôle va jouer l’image de Frida Khalo dans tout ça ? En plus d’évoquer cette image romantisée du Mexique avec ses couronnes de fleur et ses peintures colorées, elle s’inscrit complètement dans le féminisme “Girl Power” utilisé par la publicité : une femme forte, indépendante, connue pour son caractère et son oeuvre prolifique.
Essayer de se racheter une image féministe sur le dos de Frida Khalo, est également simple d’un point de vue légal, comme l’explique Hilda Trujillo, directrice du Musée Frida Khalo au micro de l’émission “Vénus s’épilait-elle la chatte ?” : les droits de l’image de Frida sont tombés dans les mains de la “Frida Khalo Corporation”, une entreprise née de l’alliance entre Casablanca Distributors et les héritiers Khalo. Une entreprise qui a peu de scrupules à vendre ces droits au plus offrants…
Dans une interview donnée aux Inrockuptibles, Sylvie Boreau, professeure de marketing à la Toulouse Business School, affirme que Frida Khalo “aurait adoré cette médiatisation” , elle qui était “très élégante” et “voulait se montrer”. D’ailleurs la récupération commerciale des oeuvres d’Andy Warhol n’a jamais posé problème après tout...
Penser que Frida Khalo aurait adoré être commercialisé sous la forme d’une poupée par une firme américaine et la comparer à Andy Warhol qui se baignait avec délice dans le star system capitaliste montre surtout à quel point ses engagements politiques ont été invisibilisés.
Frida Khalo était une fervente militante communiste qui ne supportait pas les Etats-Unis, qu’elle avait d’ailleurs surnommé “Gringolandia” (“Gringo” signifiant “Blanc” en argot mexicain). Frida Khalo, c’est aussi la femme qui est revenue dépitée d’un voyage à Paris car elle trouvait le sérail surréaliste trop bourgeois et individualiste...
Elle aimait la médiatisation parce qu’elle allait de pair avec l’amour que lui portait les classes populaires du Mexique, qui vendaient déjà des sacs artisanaux à son effigie sur les marchés de son vivant.
S’imaginer que si Frida Khalo vivait à l’heure actuelle, elle serait ravie d’être une influenceuse Instagram vendant le maquillage et les vêtements fabriqués par des multinationales relève de l’ignorance ou du mépris total pour ce qui était au coeur de sa vie.
Célébrer Frida Khalo, ce n’est pas pas célébrer un mono-sourcil et une couronne de fleurs mais avant tout une artiste à l’oeuvre bouleversante et une femme engagée qui portait haut ses convictions politiques. Le meilleur hommage à lui rendre serait d’aller plus loin que son effigie et de lui rendre enfin la parole qu’on lui a volé.
Par Salvade Castera
Comments